Nathalie de Marcellis-Warin, membre de notre équipe de recherche, a fait l’objet d’un portrait dans l’édition de juin du Magazine Poly.
Un heureux hasard
Certains choix a priori anodins peuvent influencer le cours d’un destin. Ainsi, en 1999, alors qu’elle est à Montréal pour un bref séjour, Nathalie de Marcellis-Warin décide d’assister à une table ronde sur l’après-crise du verglas organisée par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Elle est loin de se douter de l’impact de cette décision sur l’orientation de sa future carrière et de sa vie !
« À l’époque, je finissais mon doctorat à l’École normale supérieure de Cachan, en France, sur les modèles prévisionnels de risques en contextes non mesurables, des outils particulièrement utilisés dans le domaine des assurances, rapporte-t-elle. J’étais à Montréal pour accompagner mon mari, Thierry Warin, doctorant en économie et finance internationales, qui était invité à une conférence.
C’est le Pr Bernard Sinclair-Desgagné qui m’a informée de la tenue de cette table ronde organisée par le CIRANO à la même période. Quel heureux hasard ! Il s’agissait d’un retour d’expérience de représentants de la Ville de Montréal, d’Hydro-Québec, de ministères ainsi que des chercheurs du CIRANO à propos de la crise du verglas qui avait paralysé le Québec. Leur objectif était d’évaluer les conséquences économiques d’un tel événement et de discuter comment cette crise aurait pu être mieux gérée. Le sujet m’intéressait car j’avais travaillé en France sur le système d’indemnisation des catastrophes naturelles. Quand je me suis présentée, les participants m’ont considérée d’emblée comme une experte et m’ont invitée à prendre part à leur réflexion. Je venais de plonger dans l’univers fabuleux du CIRANO qui allie savoir et décision depuis maintenant 25 ans.
Le jour même, à l’issue de l’événement, le PDG du CIRANO m’a proposé de faire un stage post-doctoral à Montréal qui a été assorti plus tard d’une bourse de l’IFM2 et d’une bourse prestigieuse de l’Académie française ! Quant à mon mari, au cours de ce même séjour, il s’est aussi fait offrir un stage post-doctoral assorti d’une bourse. Alors que nos carrières qui venaient de commencer semblaient toutes tracées, nous avons changé de cap pour l’Amérique du Nord, en 2000. »
Des risques et des humains
Avec les attentats du 11 septembre 2001, le domaine de la gestion des risques se retrouve sur le devant de la scène. Au CIRANO, Nathalie de Marcellis-Warin se voit confier plusieurs mandats touchant à la sécurité des sites et du public ainsi qu’à la prévention et la gestion des catastrophes technologiques. La chercheuse fait sa marque par son approche du risque qui prend en compte les facteurs humains, tels que les erreurs dues à des biais de perception des risques.
À partir de 2002, elle trouve l’occasion d’appliquer cette approche dans un domaine nouveau pour elle, celui de la santé. Ses travaux ont contribué à la mise en place d’un projet de loi encadrant la gestion des risques et les pratiques de sécurité des patients en milieu hospitalier. « Ce projet a fait évoluer ma vision du risque, témoigne Mme de Marcellis-Warin. Il m’a permis de comprendre que de nombreuses erreurs médicales sont dues essentiellement à des causes organisationnelles, telles qu’une mauvaise communication dans l’équipe du bloc opératoire. C’est un autre facteur à considérer, et qu’on retrouve dans d’autres domaines. »
En 2004, elle entre comme professeure au Département de mathématiques et génie industriel de Polytechnique. « Je souhaitais sensibiliser aux risques technologiques le milieu de l’ingénierie qui génère les technologies. La théorie de la décision, la gestion des risques dans les hôpitaux et la gestion des risques technologiques émergents font partie de mon enseignement. C’est primordial que les futurs ingénieurs aient une conscience aiguë de la dimension sociale d’une innovation technologique et de la nécessité d’en comprendre les enjeux pour la population ainsi que le cadre réglementaire. Ma double formation en mathématiques et en économie m’a aussi conduite à enseigner l’économie industrielle. »
Double carrière
Sa formidable énergie lui permet de mener de front sa carrière à Polytechnique et sa carrière au CIRANO, où elle accède au fil des années à des postes d’encadrement de plus en plus importants, tout en siégeant à une douzaine de comités. Sans compter les navettes qu’elle fait régulièrement jusqu’au Vermont, où son mari occupe un poste de professeur à Middlebury College jusqu’en 2012. « Nous avions un modèle d’organisation familiale un peu atypique, mon mari demeurait là-bas avec nos deux jeunes enfants Hugo et Thomas et j’allais passer chaque moitié de semaine à Montréal. Un mode de vie assez intense mais que je parvenais à gérer grâce à l’appui inconditionnel de mon mari et parce que je suis quelqu’un de très discipliné. »
Ce sens de la discipline, Nathalie de Marcellis-Warin l’a acquis tôt, grâce à la danse classique qu’elle a pratiquée autrefois. « J’étais vraiment passionnée, je me destinais à devenir ballerine ! Au lycée, je suivais un programme sports-études dans ce but. Mais j’ai subi une opération chirurgicale qui m’a éloignée de mes chaussons plusieurs mois. Cette longue pause m’a fait reconsidérer ma voie. Comme j’aimais aussi beaucoup les mathématiques, je me suis orientée vers cette discipline qui demande elle aussi beaucoup de rigueur. La modélisation me plaisait particulièrement, car elle s’applique à des choses concrètes. »
Bien avant la catastrophe ferroviaire de Mégantic en 2013, la Pre de Marcellis-Warin est appelée à diriger des projets faisant appel à une autre de ses expertises : la gestion des risques liés à la logistique des matières dangereuses. Un ouvrage sur le sujet paraît quelques mois après la catastrophe, publié sous sa direction et celle de ses collègues Ingrid Peignier, du CIRANO, et le Pr Martin Trépanier, de Polytechnique.
Nouvelles responsabilités
En 2015, la Pre de Marcellis-Warin part avec sa famille à Harvard, pour un congé sabbatique d’une année à l’École de santé publique, où elle peut profiter de l’enseignement des experts les plus réputés de son domaine. Elle collabore à de passionnants projets de recherche, en lien avec les objectifs du Baromètre CIRANO sur la perception des risques au Québec. Après ce ressourcement, toute la famille est de retour à Montréal. Pour la Pre de Marcellis-Warin, ce n’est pas l’occasion de goûter aux charmes d’une vie plus routinière, puisqu’elle est nommée à la direction du CIRANO, avec 230 chercheurs sous sa responsabilité.
Outre ses tâches administratives, elle dirige des projets variés sur les risques émergents. « Je travaille actuellement sur la fraude alimentaire et sur les impacts socioéconomiques de l’intelligence artificielle. De plus, depuis les inondations de 2017, j’étudie à nouveau la perception des risques d’inondations et les impacts économiques des inondations majeures, comme lorsque je suis arrivée, il y a 20 ans, ce qui me ramène à jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur. Je suis fière du chemin parcouru, et surtout, d’avoir participé à l’instauration de politiques publiques innovantes grâce à de meilleures méthodes de gestion des risques au Québec, et donc à une meilleure protection du public. »
Hyperactive et hyper engagée
La Pre de Marcellis-Warin s’implique également beaucoup dans des activités de mentorat auprès des étudiants, dans la promotion des sciences auprès des filles et comme responsable académique de PolyFinances. Elle est membre du comité de placement de la Fondation et Alumni de Polytechnique Montréal. Elle siège aussi au conseil d’administration de la revue Gestion et de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). « La formation de nouvelles générations de scientifiques et d’ingénieurs responsables représente un enjeu pour la société. Je tiens à y contribuer, déclare-t-elle. Aux étudiants, comme à mes enfants, j’essaie de transmettre la notion d’utiliser ses compétences pour apporter un changement dans le monde. »
Son engagement social se reflète jusque dans la façon dont la Pre de Marcellis-Warin occupe les rares cases libres de son emploi du temps : « Après le tremblement de terre de 2010 en Haïti, nous avons créé avec mon mari une petite ONG, Ed’Haïti : d’un soleil à l’autre, pour venir en aide à des écoles de Port-au-Prince. Nos deux fils, mais aussi les membres de notre famille en France nous aident à organiser des missions. Il s’agit maintenant de véritables échanges, car auprès de nos collègues – et maintenant amis – en Haïti, nous apprenons beaucoup. »
Nathalie de Marcellis-Warin émet un souhait : siéger un jour au conseil d’administration des Grands Ballets canadiens, quand ses projets lui laisseront plus de temps. « Je vais sans doute devoir attendre un peu », déclare-t-elle en riant.
Source: Magazine Poly
Ce contenu a été mis à jour le 2019-07-08 à 10 h 28 min.