Brevets et secrets commerciaux pour améliorer l’innovation dans le domaine manufacturier de la fine pointe
par Nicolas Sacchetti
Au Canada, les droits de propriété intellectuelle sont attribués au premier à déposer une demande de brevet. Il ne suffit pas d’être l’inventeur.
Le panel sous la direction d’Elicia Maine du Composites Knowledge Network soulève les enjeux concernant la décision de se munir d’un brevet dans le domaine manufacturier de la fine pointe. L’événement a eu lieu lors du webinaire sur la consolidation de l’écosystème d’innovation de la fabrication de pointe du secteur manufacturier au Canada.
Dans le cas d’un produit sur lequel il est facile d’appliquer de la rétro-ingénierie (reverse engineering), soit partir du produit final, en analyser les principes technologiques et son processus de confection, le brevet est nécessaire. Rondha O’Keefe, v-p chargée de la propriété intellectuelle et des contrats pour Next Generation Manufacturing Canada (NGen) ajoute qu’il peut s’avérer moins nécessaire de protéger la propriété intellectuelle sur un produit extrêmement difficile à analyser.
Ngen est l’OBNL derrière la plupart des projets de fabrication et de transformation de pointe du Canada. La v-p O’Keefe explique qu’une technologie brevetée compte 18 mois où le dépositaire est le seul à pouvoir en faire usage, avant que les compétiteurs puissent à leur tour breveter une innovation similaire. Dorénavant, depuis Obama, toutes les juridictions mettent en pratique cette procédure.
Stratégies d’affaires
Certaines compagnies veulent un brevet pour chaque produit commercialisé. D’autres préfèrent le secret commercial. Alors qu’une compagnie manufacture ses produits à l’étranger, en Chine par exemple, il peut s’avérer difficile de protéger ses secrets d’innovation. Le brevet est alors souhaitable.
Par contre, lorsque la manufacture reste nationale et que l’on peut gérer les opérations localement, la sécurité entourant l’innovation est davantage présente et le brevet peut s’avérer moins nécessaire, si on est en mesure de garder son secret commercial.
Selon Christopher Heer, avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle (ne participe pas au panel – NDLA) : « La plupart des pays, y compris de nombreux pays industrialisés d’Europe et d’Asie, exigent la nouveauté absolue comme condition de brevetabilité ; en d’autres termes, toute preuve de divulgation publique peut empêcher votre innovation ou votre nouveau modèle d’obtenir la protection d’un brevet. »
Il explique aussi qu’au Canada, le prérequis de nouveauté inclut l’amélioration d’un article déjà connu ou une nouvelle méthode d’utilisation d’un ancien produit.
L’Office de la propriété intellectuelle du Canada précise que le coût dispendieux et le laps de temps considérable nécessaire à l’obtention d’un brevet sont des obstacles qui poussent les inventeurs à plutôt choisir le secret commercial pour protéger leur propriété intellectuelle. Cette stratégie est aussi privilégiée lorsque la durée de vie de l’invention est courte ou que l’application de la rétro-ingénierie s’avère difficile.
Brevet provisoire
C’est ce que privilégie Stewart Cramer, directeur de la production pour NGen : « Nous déposons une demande provisoire de brevet pour tout. Cela nous donne une année de protection à un coût très bas, environ 1 000$, et du temps pour prendre une décision éclairée à savoir si le brevet est la stratégie à adopter à long terme. »
Très petite compagnie, grosse dépense
Anoush Poursartip est professeur d’ingénierie des matériaux à l’Université de Colombie-Britannique. Il avance la problématique économique en fonction de la taille de la compagnie. Les très petites entreprises de moins de 10 employés sont les plus innovantes. En même temps, elles sont celles les moins à l’aise financièrement, comparé aux grandes entreprises. Le coût à long terme d’un brevet prend une partie plus grande d’un petit budget. Le secret commercial est alors privilégié pour protéger leur propriété intellectuelle. De plus, selon Poursartip, malgré leur désir de protection de la propriété intellectuelle, les PME ont des enjeux plus pressants à adresser, tels que la survie immédiate et la croissance de l’entreprise.
Shayan Fahimi, candidat à au doctorat au Composites Research Network (CRN) de l’Université de la Colombie-Britannique, renchérit sur les propos de Poursartip en évoquant les résultats de sondages auprès des entreprises du domaine manufacturier de pointe sur la composition de leur portefeuille de propriété intellectuelle :
« Dans notre enquête, la majorité des brevets sont utilisés par les grandes et moyennes entreprises. Les très petites entreprises ne sont que 5 % à utiliser des brevets. Dans la documentation, la cause est liée aux compétences des petites et très petites entreprises à protéger leur travail par le secret. Nous n’avons pas demandé aux entreprises les raisons pour lesquelles elles n’ont pas déposé de demande de brevet. Nous devrons approfondir cette question et voir pourquoi les très petites entreprises sont beaucoup plus intéressées par les secrets commerciaux. »
Formation sur la propriété intellectuelle
Cramer : « Notre proposition de processus est une manière de faire pour innover adéquatement. » Se concentrer sur la création d’opportunités et le développement de nouveaux produits est un besoin pour les jeunes entreprises afin de renforcer le secteur manufacturier à la fine pointe.
Les plus petites compagnies n’ont pas de personnel à l’interne, tels les services d’un avocat spécialisé dans le domaine, pour les aider en ce qui a trait aux questions de propriété intellectuelle. Lorsque NGen collabore à un projet, O’Keefe explique aux entreprises les éléments qui sont encadrés et ses limites. Par exemple, la résolution de problème n’est pas un élément protégé.
Il faut aussi établir les intentions de l’entreprise avec la propriété intellectuelle selon leur plan d’affaires. Savoir sa portée sur les gammes de produits manufacturés et les ouvertures de nouveaux marchés possibles. La différenciation entre le secret commercial, les informations confidentielles et le brevet est également un élément de formation nécessaire selon O’Keefe.« Nous formons les entreprises afin qu’elles soient en mesure de prendre une décision éclairée pour protéger leur invention entre le brevet ou le secret commercial, pour elles et leurs partenaires », précise O’Keefe. Elle ajoute qu’un projet interentreprises doit avoir une entente de collaboration qui détermine la propriété intellectuelle en fin de compte.
Viser l’excellence
Poursartip partage que dans le secteur des matériaux composites CKN/CRN se concentre à aider les compagnies à utiliser ce qui se fait de mieux dans le domaine et l’adapter à une petite entreprise. Ainsi, par la suite, il les aide à évaluer leur positionnement concurrentiel distinct avant de les mettre en connexion avec des gens qui pourront les amener plus loin : « Dans les rencontres de CRN (Composites Research Network), des ingénieurs chevronnés de Boeing, Raytheon et d’autres compagnies peuvent interagir, avoir une vision d’ensemble et ainsi se positionner dans l’écosystème. »
Initiatives pour renforcer l’innovation
Pour Poursartip, une meilleure considération du coût réel de la protection de propriété intellectuelle est nécessaire. Il pointe aussi la nécessité de continuité des programmes créés comme NGen afin de bien établir que cette ressource existe.
Cramer ajoute que les programmes doivent joindre la collaboration du milieu universitaire et industriel : « Selon les statistiques, nous avons la force de travail la plus éduquée au monde et c’est un élément précieux du Canada. Nous devons garder ce savoir au pays. » Il prône la nécessité de nouveaux modèles pour concilier le savoir et le développement de la force de travail.
Pour O’Keefe, aviser les compagnies sur la propriété intellectuelle est essentiel afin de pouvoir générer de la richesse, attirer des investisseurs au pays et faire grandir les compagnies d’ici.
Ce contenu a été mis à jour le 2022-05-26 à 21 h 41 min.