Créer de nouveaux indicateurs pour aider à résoudre le paradoxe canadien de l’innovation
Sous la direction de la professeure Catherine Beaudry de Polytechnique Montréal, l’équipe multidisciplinaire du projet 4POINT0 développe de nouveaux outils de mesure de l’innovation à l’aide d’une infrastructure d’exploration de mégadonnées en langage naturel unique au pays.
Comment bien mesurer l’innovation dans les organisations? Comment s’assurer que les investissements publics visant à soutenir l’innovation aient les retombées attendues? Comment démontrer aux contribuables la pertinence d’inciter des multinationales à s’établir au Canada?
C’est pour répondre à ce type de questions et permettre ainsi aux décideurs de concevoir des pratiques et des politiques de science, de technologie et d’innovation que vient d’être lancé le projet de développement de nouveaux indicateurs d’innovation du Partenariat pour l’organisation de l’innovation et des nouvelles technologies (4POINT0). Piloté par Catherine Beaudry, professeure titulaire au Département de mathématiques et de génie industriel et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en création, développement et commercialisation de l’innovation (Chaire Innovation) à Polytechnique Montréal, ce projet pourrait, entre autres, aider à résoudre la situation paradoxale du Canada en matière d’innovation.
Comme l’établit le rapport Rivaliser dans une économie mondiale axée sur l’innovation : L’état de la R-D au Canada du Comité d’experts sur l’état de la science et de la technologie et de la recherche-développement industrielle au Canada, publié récemment par le Conseil des académies canadiennes, le pays affiche de remarquables performances concernant la production et l’impact de la recherche, sa population est la plus instruite de l’OCDE et il bénéficie d’un vaste bassin de compétences et de talents en recherche.
Pourtant, depuis 2001, le Canada ne cesse de glisser dans les classements internationaux en ce qui a trait aux investissements dans la R-D (classé au 33e rang parmi 40 pays) et à l’innovation, affichant notamment une croissance de la productivité inférieure à la moyenne. Ce déclin affaiblit sa compétitivité, sa productivité et sa prospérité.
Besoin criant d’outils pour mesurer l’impact des modèles d’innovation canadiens
Pour encourager l’innovation, le Canada soutient depuis plusieurs années le développement d’écosystèmes d’innovation, c’estàdire des plateformes collaboratives réunissant universités et secteurs privés et publics. Les supergrappes canadiennes annoncées cette année, qui représentent un investissement public de 950 M$ et un investissement privé qui devrait atteindre un montant équivalent, s’inscrivent dans cette tendance.
Cependant, un besoin criant d’outils demeure pour évaluer les impacts réels de ces écosystèmes sur l’innovation. Il en est de même pour mesurer les effets des appuis du secteur public aux organisation privées, alors même que les contribuables font entendre leur voix pour demander la justification de ces investissements. En effet, les indicateurs actuels, tels que le montant total des investissements en recherche-développement ou encore le nombre de brevets détenus par une entreprise, parviennent difficilement à en évaluer les performances, la compétitivité et la capacité d’innovation nationales ou organisationnelles.
« L’innovation couvre une multitude d’aspects (conception et commercialisation de nouveaux produits, amélioration de procédés, utilisation de technologies de pointe, modes d’organisation des entreprises, etc.) qui sont difficiles à mesurer », observe la professeure Catherine Beaudry, directrice du projet 4POINT0. « Or, les entreprises et les décideurs publics doivent souvent prendre des décisions basées sur les indicateurs accessibles, mais incomplets, tels que les dépenses de recherche-développement, les brevets, les crédits d’impôt à la R-D, le nombre d’emplois, etc. Certains de ces indicateurs peinent à être mis à jour régulièrement et, par conséquent, échouent à fournir un état précis de l’innovation et de la création de valeur en temps réel. »
Les nouvelles mesures d’innovation développées par 4POINT0 devraient aider à inverser cette tendance en aidant les décideurs à concevoir des pratiques et des politiques de science, de technologie et d’innovation adaptées à la réalité d’aujourd’hui. Rendant possible la prise de décision en temps réel ou quasi réel et adaptés à la réalité des écosystèmes d’innovation canadiens où la collaboration inter-organisationnelle est la norme, ces nouveaux indicateurs permettront de s’assurer que les pratiques industrielles et les politiques publiques aient pour effet réel de maximiser l’innovation.
« Ils donneront les moyens de gérer adéquatement les écosystèmes d’innovation et de mettre en place les mécanismes d’appui à l’innovation les plus efficaces, et donc de faire tomber les obstacles pour transformer les inventions issues de sa recherche en succès commerciaux et, par conséquent, en création de richesse », estime la Pre Beaudry.
4POINT0, qui a reçu une subvention de 2,5 millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), a également obtenu un soutien de 500 000 dollars provenant du Fonds des leaders John-R.-Evans de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et du Gouvernement du Québec pour le développement à Polytechnique Montréal d’une infrastructure de fouille et d’analyse des mégadonnées unique au Canada.
« Grâce aux travaux des centaines de chercheurs qui sont subventionnés aujourd’hui, les Canadiens seront en mesure de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent. J’ai l’honneur de soutenir ces chercheurs talentueux et de les aider à repousser les frontières du savoir, ce qui permettra d’améliorer l’environnement, la santé, l’économie et la société pour tous les Canadiens », déclare l’honorable Kirsty Duncan, ministre des Sciences et ministre des Sports et des Personnes handicapées.
« Les universitaires et chercheurs subventionnés par le CRSH peuvent nous guider tandis que nous faisons face à d’importants changements de société », souligne Ted Hewitt, président du Conseil de recherches en sciences humaines. « Par l’entremise de ces projets, le CRSH cultive le talent et établit des liens entre les chercheurs et partenaires du Canada et ceux de l’étranger. Dans une optique interdisciplinaire et intersectorielle, il soutient des recherches de calibre mondial qui apportent un éclairage crucial pour aborder les défis d’aujourd’hui et de demain. »
« Investir dans une nouvelle génération de chercheurs est plus important que jamais pour le Canada. La Fondation canadienne pour l’innovation permet à nos brillants chercheurs de demeurer au Canada, de bâtir notre économie et de contribuer à résoudre les problèmes du monde », indique Roseann O’Reilly Runte, présidente-directrice générale, Fondation canadienne pour l’innovation
Une infrastructure inédite d’exploration d’informations en langage naturel
Pour créer ses nouveaux indicateurs, 4POINT0 mise sur l’utilisation des quantités colossales de données qui sont produites quotidiennement par les organisations et par leur environnement. Celles-ci représentent une mine d’informations d’une richesse sans précédent et encore peu exploitée.
Hébergée à Polytechnique Montréal, l’infrastructure d’exploration de mégadonnées de 4POINT0 permettra de tirer profit de la richesse des méthodes d’analyse quantitative à une échelle encore jamais vue.
Les informations exploitées seront tirées d’une combinaison de données obtenues à partir de méthodes quantitatives (données administratives et sondages à grande échelle) et de méthodes qualitatives transposées à grande échelle (entrevues, études de cas, groupes de discussion), ainsi que des textes extraits de sites web et de médias traditionnels. Ces informations permettront à 4POINT0 de développer, tester et valider de nouveaux indicateurs d’innovation permettant une prise de décision plus rapide.
Certains des écosystèmes d’innovation qui seront étudiés par 4POINT0 sont émergents (intelligence artificielle, mobilité durable) ou en voie d’opérationnalisation (matériaux avancés, santé et médecine de précision). D’autres écosystèmes évoluent dans des secteurs plus matures et cherchent à se renouveler en bénéficiant des avancées technologiques telles que les développements en intelligence artificielle (aérospatiale et industrie 4.0).
« On sait, par exemple, qu’un avion collecte plus de données en douze heures de vol que Facebook en une journée. Si on pouvait extraire des informations pertinentes et les fournir aux entreprises de maintenance, on créerait de nouvelles occasions d’affaires dans l’aérospatiale », mentionne Catherine Beaudry.
Les supergrappes d’innovation instaurées par le gouvernement fédéral bénéficieront aussi des travaux de 4POINT0. Notamment, la supergrappe SCALE.AI, qui vise des chaînes d’approvisionnement intelligentes grâce à l’intelligence artificielle et à la robotique, pourra collaborer aux travaux de 4POINT0 pour améliorer la performance de son écosystème grâce à des indicateurs ciblés et à la fine pointe de l’analytique des mégadonnées.
Une approche partenariale interdisciplinaire et multisectorielle
4POINT0 réunit plus d’une quarantaine de chercheurs (architectes, économistes, ingénieurs, sociologues, urbanistes, etc.) de Polytechnique Montréal, d’universités à travers le Canada, de divers paliers gouvernementaux au Canada ainsi que de plusieurs institutions à l’international, dont GeorgiaTech, l’École des Ponts ParisTech etles universités de Manchester, Strasbourg et Turin.
4POINT0 compte aussi 35 partenaires actifs dans différents secteurs, tels que l’aérospatiale (AéroMontréal, CRIAQ/CARIC, CAE, IODS, Thales Canada), la recherche et l’innovation (CEFRIO, TKM Canada), les sciences sociales (CIRANO), l’énergie (Hydro-Québec), la gestion de projets (PMI-Montréal) ou encore les matériaux avancés (Prima Québec).
« Une des forces de 4POINT0 est sans aucun doute le fait de rassembler dans une même équipe des ingénieurs et des spécialistes des sciences sociales », remarque Philippe A. Tanguy, directeur général de Polytechnique Montréal. « Grâce à 4POINT0, les bureaux de transfert chargés de faciliter la commercialisation des technologies en provenance des universités recevront de nouveaux outils pour accélérer la transition vers une innovation réussie. En outre, le projet formera une nouvelle génération de chercheurs, capables de travailler au sein d’équipes pluridisciplinaires, intégrant de nouvelles approches pour étudier le processus d’innovation, ce qui transformera à terme notre façon de faire de la recherche. »
« On voit déjà comment ce projet rassembleur et intersectoriel mobilise les innovateurs et chercheurs de calibre mondial à travers le Canada. Nous sommes heureux de contribuer à ce projet qui permettra l’utilisation des technologies de rupture pour mieux comprendre et agir sur les enjeux d’un écosystème innovant et prospère », déclare Marc St-Hilaire, directeur de la technologie et vice-président, Technologie et Innovation chez CAE.
« En tant qu’acteur clé de l’écosystème d’innovation aérospatial au Québec depuis plus de 15 ans, le CRIAQ est fier de collaborer au projet 4POINT0 qui vise notamment une meilleure compréhension des pratiques d’innovation et des processus de collaborations dans l’intégration des innovations disruptives », indique Denis Faubert, PDG du CRIAQ « Les recommandations issues de ce projet seront d’un grand intérêt pour nous et pour nos membres, et pourront jeter les bases de nouveaux modèles de partenariats sur nos projets ».
« Ces nouvelles mesures d’innovation, par l’implication d’acteurs pluridisciplinaires, nous permettront d’adopter une approche plus systémique et pluridimensionnelle de l’innovation », note Marie-Pierre Ippersiel, présidente et directrice générale du Pôle de recherche et d’innovation en matériaux avancés du Québec. « L’innovation se manifestant rarement isolément, ce cadre élargit contribuera à étendre et à renforcer notre connaissance de l’écosystème québécois d’innovation collaborative, ainsi qu’à tirer judicieusement parti des indicateurs développés pour appuyer l’élaboration de politiques publiques ciblées en matériaux avancés ».
(Photo : Caroline Perron photographies)
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Source: Polytechnique Montréal
Ce contenu a été mis à jour le 2018-10-23 à 13 h 18 min.